Nous trouvons la Khajiit, tapie au sommet d’un vallon partiellement boisé. Dés notre arrivée elle nous fait signe d’approcher, visiblement inquiète.
« Vite, vite ! Regardez ! » désignant une ruine ayléide investie par les combattants du Lion.
Mettant genoux à terre, aux côtés de l’éclaireuse « Nous avons eu un léger contre-temps... »
« Ils sont prêts à l’attaque ! »
Je m’étend au sol et scrute les forces ennemies. Nombreuses. En bataillons serrés ils entament leur marche sur Crins-de-sang. Derrière le gros des troupes, des engins de siège sont prêts à être poussés jusqu’au fort.
Les stratégies possibles fusent dans mon esprit. Je n’ai pas le temps. Encore moins de temps qu’à la scierie. Il faut agir et vite. Trouver un plan.
« As-tu vu autre chose qui pourrait nous être utile ? »
« Ashini a repéré un camp avancé au bout des ruines. Ils ont aussi du ravitaillement pour plusieurs jours surveillé par une dizaine de gardes. »
D’un ton directif. « Badhanaa et Araennen vous agirez en premier. Brûlez les engins de siège. Dés que l’ennemi aura repéré l’incendie, il se précipitera pour l’éteindre et tenter de vous débusquer. Vous vous metterez à couvert, pas d’affrontement direct. Pendant ce temps, Ashinii et Malliril auront le temps de lancer la seconde phase du plan. » désigne les caisses de ravitaillement au loin. « Vous brûlerez toutes les réserves que vous pouvez et vous contournerez les ruines par le sud pour revenir ici. » Une pause. « Des questions ? »
« Et vous Lieutenant ? » interroge le chevalier.
« Ralliement ici. Si je ne suis pas là à votre arrivée, partez à Crin-de-sang, je vous suivrais de près. »
Je hoche la tête avec conviction, mettant fin à la discussion malgré les réticences évidentes de mes soldats.
Le premier groupe disparaît derrière les lignes ennemies, suivi du second qui se terre à l’abri de lourds blocs de pierres taillés, attendant le départ du feu.
Je quitte ma position et disparaît dans l’ombre. A mesure que j’approche des ruines ayléides, mon cœur se serre et une sourde colère m’étreint. Cette ruine est majestueuse et dégage une énergie à la fois calme et puissante. Voir ces soldats profaner un tel site est impardonnable…
Un souffle froid glisse sur ma nuque. Je me fige dans ma course, me retourne, m’accroupis en dégainant mes armes. Un instant s’écoule. Aucun bruit, aucun mouvement si ce n’est la ronde d’un garde a quelques mètres.
Je me concentre. Attentive a ses moindres gestes. Au poids de ses pas. A la nature de ses armes. Aux éventuelles failles dans son armure où pourront se glisser mes lames.
Un peu plus loin, un autre garde sort d’une tente, les yeux vitreux. Juste en face de ma victime qui a calé son dos contre une grande colonne de pierre blanche.
« Hey, Grantham, tu veux du vin ? » lance le premier, agitant une bouteille a moitié pleine au hauteur de son visage.
Il se redresse. « Oh, tu en as trouvé ?! »
« Un peu que j’en ai trouvé ! Marre de cette flotte, c’est bon pour les chèvres ! » lance-t-il en pointant du doigt des barils empilés.
L’éméché ricane en titubant jusqu’à lui. Un Orc à la peau brune, doté de deux crocs pointés comme des stalagmites. Ses lèvres épaisses sont rougies pas le vin. Il donne une tape brusque sur l’épaule de son acolyte qui vacille en avant. L’Orc éclate de rire.
« Tiens freluquet, bois ça ! »
Le Bréton s’exécute, engloutissant deux grandes lampées du breuvage sous le regard ivre de la brute. Il s’essuie la bouche, laissant quelques gouttes de vin souiller la pierre immaculée.
Bondissant comme un lion, j’écrase les pommeaux de mes dagues sur leurs crânes qui s’entrechoquent dans un craquement sinistre. Le Bréton chancelle, porte la main a sa tête. Ses lèvres s’entrouvrent, laissant s’échapper le début d’un cri qu’il n’aura pas le temps de terminer. La tranchant de ma dague s’abat contre sa gorge, lui sectionnant net les cordes vocales et le larynx. Les yeux écarquillés d’horreur il porte les mains à sa plaie ensanglantée et s’écroule sur le dos.
Deux grosses mains gantées se posent lourdement sur mes épaules et me projettent maladroitement au sol. D’une roulade habile je me retrouve sur mes pieds, tire de ma ceinture une petite lame courbe que je lui lance au visage. Les réflexes amoindris par l’alcool, l’Orc parvient néanmoins à ébaucher un mouvement de tête. La pointe de l’arme lui découpe la joue. Il lâche un râle. Sans perdre une seconde je fonce sur lui, frontalement. Il dégaine sa hache et arme son bras pour me fendre en deux. L’arme file tout droit sur moi, à la dernière seconde je plonge entre ses jambes, mon dos glisse sur l’herbe grasse, sa hache continue sa course effrénée. Ne rencontrant pas l’obstacle escompté elle se plante en plein dans sa genouillère qui se déforme dans un bruit métallique. Le souffle coupé par la douleur l’Orc prend appuis maladroitement sur sa jambe valide.
L’arrière et les parties latérales des armures sont souvent l’endroit le plus vulnérable, là où se trouvent les liens de cuirs tenant l’ensemble de chacune des pièces. D’un geste sec et précis le fil de ma dague tranche l’arrière de son genoux, entamant son artère.
Il fléchis les jambes, grognant de douleur. D’un mouvement, ma dague caresse sa gorge dessinant un large sourire rougeoyant. Il s’écroule dans un gargouillis, face contre terre.
Sans perdre une seconde je me précipite sur la réserve d’eau et la libère de son contenu. Une flaque immense se forme sur le sol déversant des litres ruisselants...Sur le liquide répandu, une couleur rougeoyante se reflète...
A l’Est, le feu! Badhanaa et Araennen ont réussi. Les flammes dévorent les hauts trébuchets du Lion.
Des cris d’alerte retentissent dans le camp. Je saute derrière un bloc. Le fer des bottes se rapprochent.
« L’EAU ! LES RÉSERVES SUD ONT ÉTÉ SABOTÉES ! »
Je me faufile entre les ruines, vers l’Ouest.
« ALEERRTE ! DES MORTS ! »
Ils ont vus les cadavres.
Une chaleur brûlante remonte le long de mon dos. Le feu s’est étendu aux réserves et dévore maintenant les tentes qui s'effilochent dans le vent.
Les soldats du Lion courent en tout sens comme des fourmis paniquées au milieu de leur fourmilière en flamme.
La camp avancé est désert.
Un sous-officier éructe des ordres aux soldats qui ne savent plus où donner de la tête, dépassés par l’ampleur du carnage.
Je m’introduis discrètement sous la tente. Là, des bandages, des potions, des onguents. De quoi soigner les blessés tombés au front.
Mes doigts glissent dans la sacoche accrochée à ma ceinture. J’en sors une fiole au contenu incolore et inodore que je déverse goutte à goutte dans chaque préparation.
Soudain, un nouveau souffle froid glisse contre ma nuque, je fais volte-face. Personne. Mon cœur s’emballe. Quelque chose guette, je le sens. Mes poils se hérissent. Je termine rapidement le sabotage de leurs fournitures quand une lueur bleue apparaît derrière moi. Son reflet danse sur le métal d’un bouclier du Lion.
Mes doigts se referment lentement sur le pommeau de mes dagues.
A l’instant où je me redresse une pointe acérée s’enfonce dans mon épaule me projetant au sol. Je lâche une plainte rauque. Des pas se précipitent sur moi, je me retourne vivement, propulsant ma dague droit sur la menace. Un soldat s’affaisse de tout son poids sur moi, mon arme plantée dans le front. Le poids de son corps en armure écrase ma cage thoracique, je peine a respirer, j’halète. Mes yeux cherchent en tout sens une solution pour me dégager quand j’aperçois la silhouette d’un archer ennemi se rapprocher.
Je pousse de mon seul bras valide le cadavre qui m’entrave sans réussir a me dégager. L’humain approche, la bouche tordue d’un rictus mauvais et revanchard. Il se penche au dessus de moi et pose un genoux pesant sur le cadavre de son camarade.
Je serre les dents. Mon inspiration devient sifflante. Il ne me quitte pas des yeux. Prenant un malin plaisir à me regarder m’étouffer.
Je perds pieds...ma vision se trouble, des tâches lumineuses envahissent ma rétine. Un choc violent m’écrase la mâchoire. Un goût de sang dans ma bouche…
Un souffle froid parcours ma peau. A nouveau cette sensation. Plus présente encore. Une lueur, bleue, apparaît dans les ténèbres de mon inconscience. Mon corps soudain s’allège. Je ne distingue plus le sol du ciel.
L’éclat bleue se précise, s’agrandit, ses formes se dessinent. Je plisse les yeux, la bouche entre-ouverte. Un corps. L’apparition se trace dans le néant. Elle devient translucide. D’elle émane une énergie colossale. Une énergie qui ne semble pas de notre temps…
Les traits d’un visage s’esquissent. Un Mer… Soudain, une décharge glaciale me traverse de part en part, une douleur d’une fugacité extrême. Ma vue s’éclaircit aussitôt, mes poumons se libèrent, absorbant un air frais et salvateur. J'inspire plusieurs fois avec avidité avant de lever les yeux sur l'énigmatique apparition.
Un Mer en armure elfe de l’ère Méréthique se tient devant moi, silencieux, observateur. Il incline la tête à droite, puis a gauche, se rapproche de mon visage comme s’il souhaitait examiner les tréfonds de mon âme, puis se redresse…
Je balbutie quelques mots « Qui..Qui êtes-vous ? »
Les sons de mes mots semblent se perdre dans une dimension qui les déforme, leur conférant une autre structure...une autre intonation…
Le Mer, avec prestance, esquisse un sourire satisfait.
« Toi. »
Je secoue la tête, hébétée. « Qu..Quoi ? »
« Bientôt, si tu le veux, tu pourras retourner à ta bataille...mais tu as besoin de mon aide. »
« Qu’est ce que ça signifie ? »
Grave. « Tu es mourante Oriyel. Ton escouade t’a désobéi….regarde... »
« Comment connaissez-vous mon ... »
D’un geste élégant, le Mer ouvre un cercle semblable à une fenêtre dans laquelle la réalité à lieu. J’écarquille les yeux, stupéfaite. Là, je vois l’ensemble de mon escouade me ramenant à Crins-de-sang alors que le combat fais rage sur les remparts. Je suis inconsciente devant Araennen qui chevauche en prenant garde à me maintenir en selle…
« Ils ont massacrés les gardes du Lion qui restaient, ton plan est un succès...Mais si tu meurs maintenant, ce sera un échec. » il fait un pause pour guetter mes réactions puis reprend. « Pas pour cette bataille non, le Domaine la gagnera...mais pour la guerre. »
Je secoue la tête. « Comment ma vie ou ma mort pourrait déterminer quoi que ce soit ? »
« Ce n’est pas toi, seule. C’est moi, et tout ce que nous pourrons accomplir. »joins ses doigts devant sa poitrine.
« Vous ne m’avez toujours pas dis qui vous êtes ! » d’un ton ferme.
Il prend une longue inspiration et me répond avec calme.
« Je suis l’esprit d’Elrundaar, dit
le Seigneur Juste »
« Un seigneur Ayléide... » dans un souffle.
Écarte les mains. « Oui...Et toi, tu seras mon corps. »
« Qu..Comment ça ? Vous voulez me posséder ? » je me renfrogne, méfiante.
« Je ne serais qu’un invité, tu conserveras ton libre arbitre. »
« Mais qu’est ce que ça vous apporteras ? Pourquoi vouloir faire ça ? »
« J’ai besoin d’un hôte pour accomplir le dessein perdu des Ayléides...Certains de mes semblables étaient trop cruels, trop arrogants, trop suffisants pour comprendre qu’ils nous mèneraient tous à notre perte...Lors de la révolte des humains, certains Seigneurs tels que moi se rangèrent derrière Alessia, la reine esclave, afin de mettre fin à cette mascarade... » Il soupire. « Nous étions ses légitimes alliés...mais la justice des hommes n’avaient pas été consommée pour tous jusqu’à les rassasier… Ils ne voulaient pas la liberté et la paix mais la vengeance… Certains de mes semblables ont fuis, d’autres ont accepté leur destin, comme moi, et ont été exécutés... sommairement. »
« Pourquoi moi... ?»
Le Mer laisse glisser un rire d’entre ses dents.
« Parce que j’ai sentis une certaine ...compatibilité... »
Je secoue la tête, agacée de ses énigmes. « Je ne comprend rien, expliquez vous! »
« Tu en sais bien assez...Désormais, tu as le choix. Soit mourir en Cyrodiil, me condamner a errer sans pouvoir réaliser ce pourquoi je suis resté depuis si longtemps...a vagabonder dans ces landes...Soit, accepter ma présence dans chacune des fibres de ton corps, et te battre pour réaliser ce qu’au fond de toi tu attends depuis des années... »
Je reste silencieuse, le visage fermé, l'esprit assailli de questions.
« Je t’offre ma sagesse, mes connaissances, afin de réussir l’avènement d’un nouvel Ayleidoon... »
« Si j’accepte, qu’est ce qui changera ? » les sourcils froncés.
« Pas grand-chose... » réfléchis en levant les yeux au ciel « A part peut être que certains de mes traits de caractères pourraient déteindre sur toi, certaines façons de s’exprimer, certaines façon d’interagir avec le monde... Tu pourrais m’entendre a certains moments, comme une « petite voix » qui te guide... » tentant de me rassurer « Mais, tu peux avoir l’assurance que je ne me servirais pas de toi comme d’une marionnette, je suis Elrundaar le Juste, pas Elrundaar le manipulateur… Je laisse ce plaisir aux vils Daedras.. »prononce ce mot dernier mot avec dédain.
« Et si nous accomplissons cette quête, que le nouvel Ayleidoon naît ? »
Il s’éclaircit la voix et prend un air circonspect. « Eh bien...Je pourrais quitter ce plan mortel... »
« Et moi ? » du tac au tac.
Il m’observe avec une certaine compassion.« Tu m’accompagneras. »
« Dans tous les cas je suis destinée à mourir, c’est ça ?! » en colère.
« J’ai bien peur que oui... Maintenant ou plus tard...mais ton choix sera déterminant...»
« Comment avez vous la certitude que nous gagnerons la guerre ensemble ? »
Il sourit. « Je n’ai aucune certitude, mais de l’Espoir. Et c’est de l’Espoir que naissent les plus glorieux accomplissements. »
Il fait quelque pas sans me regarder « D’autre part, je pense que tu as toi-même besoin de trouver des réponses... » Il se tourne vers moi et me transperce de ses yeux glacés. « Toi même tu sais... »
Le silence se fait….la fenêtre sur Tamriel se referme progressivement…
...une inspiration...J’ouvre les paupières.
FIN